ART CAPITAL



Émeutes : vol au-dessus d'un nid de pavés de Claude Luezior

LECTURE DE MICHEL BENARD

Surprenant, percutant, voici un nouvel ouvrage de l’incontournable poète, essayiste, romancier et ami des arts Claude Luezior, qui, derechef annonce la couleur : dans son liminaire, il déteste l’émeute mais avoue d'emblée : Peut-être est-elle libératrice ?
Cet opuscule est croustillant de dérision dans l’observation de certains troupeaux où paissent faiseurs de morale et fossoyeurs endimanchés de la nation.

Bienveillance et humour grinçant face à un système sociétal en déshérence ?

 

L’auteur n’est pas avare de recommandations. face aux nouvelles recrues de la « manif », aux élus et ténors de la contestation, aux vaillants moustachus biberonnés de syndicalisme. Preuve évidente d’une certaine expérience analytique (pas mal, pour un neurologue-poète !) sur le comportement des dynamiques de masses.
Ce recueil est un cri contre le crétinisme bon enfant d'une populace en marche. C’est un clin d’œil aux petits-enfants de Robespierre, victimes de leur propre engouement à casser du flic ou du bourgeois. Rions un peu !
Notre poète joue, selon son habitude, du langage avec subtilité et intelligence ; pour les frères de François Villon, pitoyables gibiers de potences, la condamnation sera lourde pouvant aller jusqu’à cent ans de démocratie. Est-ce bien raisonnable ?  
Nous sommes là, sur les pavés de la discorde, face à un recueil qui fleure bon le pneu brulé et le gaz lacrymogène. Dansons la Carmagnole ! Nous ferions facilement, de ce condensé, un livre de chevet tant il est pertinent. Le verbe y est raffiné dans son combat dénonciateur, il ouvre un espace de lumière lorsque l’esprit s’enténèbre.
Images à la Eugène Delacroix, lorsque les gueux lamentables se retrouvent devant les forces de la loi qui transpirent sous leurs casques et visières. Alors apparait Marianne, telle une guerrière salvatrice.

En bon révolutionnaire de substitution, Claude Luezior  fait feu de tout bois:  la Commune, mai 68, les gilets jaunes, les cégétistes, les trotskystes et autres produits de la panoplie contestataire. Sans oublier les saucisses, les idéaux échevelés et le picrate qui tache. La populace recolore le monde, surtout en rouge : couleur de la colère, de l’espoir international et de la soi-disant liberté. Déguisements pour un carnaval de l’insurrection.

 

Ce recueil risque bien de faire grincer quelques chicots, tant il sonne vrai. Aveugle du pire celui qui ne veut pas voir. Sans doute y aura-t-il un Savonarole, un Robespierre ou un Danton pour contredire le bienveillant écrivain dans sa description de notre monde en proie aux idées partisanes...
Claude Luezior se surprend à découvrir du beau dans le sfumato des gaz lacrymogènes et des fumées en volutes des saucisses grillées. À qui sait la voir, la poésie est partout.

Certes, le souffle de la fraternité est bien mal mené et la mondialisation capitalisante n’est pas étrangère au chaos qui est de plus en plus prégnant, avec ses technologies nouvelles qui conduiront l’homme à l'aliénation et servitude. Et notez bien, face à l'émeute devant le parlement de Berlin : N’oubliez pas le mot Reich, n’oubliez pas les chemises brunes et leurs sombres cohortes.
Si la plume de Claude Luezior joue avec humour et dérision, elle sait aussi être grave, émouvante devant une telle misère qui se débat dans les filets d’une société infiniment blessée. Ici le poète revendique son droit au rêve, passage vers le pays de l’utopie : Les pavés s’envolent tels des oiseaux de paradis.
Alors oui mon Frère : Lève-toi avec vigueur et majesté contre le tyran, dresse tes piques mais que ton combat ait du corps et de l’audace chevaleresque !

Ce recueil impose le respect : quelques braillards en guenilles pourront se nourrir de ces fruits. Tout lecteur les trouvera pertinents et visionnaires.

Michel Bénard

http://salon-litteraire.linternaute.com/fr/claude-luezior/content 

PS : Art brut ou art singulier, l’illustration en couverture, Le couple du peintre Philippe Trefois, symbolise magnifiquement le côté dépareillé et fractionné de notre société en perte de valeurs.

Claude Luezior, Émeutes : vol au-dessus d’un nid de pavés, illustration de Philippe Trefois, Cactus Inébranlable éditions, mars 2022, 78 p.-

 

COMMANDE LIVRE : Émeutes – vol au-dessus d’un nid de pavés – Cactus Inébranlable (cactusinebranlableeditions.com)




ÉMEUTES Vol au-dessus d’un nid de pavés de CLAUDE LUEZIOR (Cactus Inébranlable) / Une lecture de Nicole HARDOUIN

LECTURE DE NICOLE HARDOUIN

Si l’auteur possède une écriture aux multiples facettes, il n’avait pas encore exploré avec délice, humour et agilité la populace chère à Villon, masques et boucliers derechef alignent d’avides gourdins tandis que s’amassent manants et gueux en lamentable engeance.

Non pas réquisitoire, mais peinture contrastée de la société, cet opuscule se lit avec amusement et délices.

Pourtant il fait doux ce matin-là, mais toute une machinerie s’ébroue et brise les restes de la nuit déshabillée de vent. Ombres et lumière craquent dans les vociférations d’insolentes oraisons, tumulte sur le pourtour de lèvres hargneuses. Une meute avance, recule, ne sait où elle va : c’est un bateau en perdition dans la tempête, un navire de haute marée qui s’abandonne et se reprend sans cesse.

Comédiens d’un certain non-sens, tous ne s’entendent pas ; ils vocifèrent,  assèchent leur intimité, une folie au coin des lèvres : la liberté ne se nourrit pas, elle est famine, dénuement sublime du désir (P. Emmanuel)

La foi errante cherche son Savanarole, le bûcher, lui, est détrempé de sueur sale. Esméralda a raccourci sa jupe, sa chèvre a disparu, elle danse avec un gilet jaune au milieu d’une confrérie de brailleurs, à défaut des pleureuses qui sont en grève. Une meute éructe non pas des mots, des phrases, des syllabes mais des convulsions qu’éructe le fond des âges. Ce soir il y aura beaucoup de rouge qui tache tant les gorges seront sèchent. Pourtant, Luezior le pacifiste, le doux, le bienveillant montre une certaine sympathie pour l’engeance des petites mains.

Plus que jamais il pense au métro boulot dodo du cher P. Béarn, ses échevelés de mai 68 et leurs flamboyantes barricades qui ne semblent plus que rêves pour apprentis pyromanes.

Comme il faut bien s’occuper, des barricades se dressent, Gavroche s’approche, des barricades : ici, ce n’est qu’amas de grilles d’égouts entremêlées de mobilier urbain, avec des pavés en veux-tu en voilà, bancs cassés, arbres sciés. On lui avait pourtant expliqué que les écologistes voulaient surtout préserver la nature…

Gavroche ne comprend rien : empli de joie triste, il décide de se sauver avec son ami Quasimodo effrayé, « viens,  lui dit ce dernier, on va se cacher entre deux gargouilles car ici, c’est la confusion, chacun est contre mais ne sait pas vraiment contre quoi !

Passe une bande hurlante d’anti-vaccins. L’un d’eux tombe sur des plaques rouillées et s’entaille le bras ; hors texte et en catimini, son copain d’infortune lui fait : « Dis donc, au moins, tu es vacciné contre le tétanos ! »

On évoque l’assaut du Parlement américain. Le I have a dream de Martin Luther King sur les mêmes marches, c’était beaucoup mieux. On croyait avoir tout vu, on a vu et c’était plutôt moche.

Marianne, Gavroche et Quasimodo se sont assoupis au bout de leur révolte. Gandhi, Luther King, Mandela ne dorment plus que d’un œil… On jette, on rejette. Le grand Palais n’est pas loin. Serait-ce un happening pour artistes un peu fous ?

En ces temps où l’horizon est si sombre, où l’homme est une grande déchirure, ce petit recueil est un régal d’humour : histoire d’une émeute pour danse moderne. À lire et relire pour sourire dans le silence du soir et y enfouir ces graines où vacille la société, dont la qualité devrait se mesurer à l’aune de la solidarité envers les plus fragiles.

Luezior repense peut-être aux vers de Victor Hugo dans les Voix Intérieures : Paris, feu sombre ou pure étoile, est une Babel pour tous les hommes. Toujours Paris s’écrie et gronde. Nous ne saurions terminer cette recension sans rendre éloge au peintre Philippe Tréfois, pour son étonnant (et détonnant !) tableau en première de couverture.

Nicole Hardouin


Claude LUEZIOR, ÉMEUTES vol au-dessus d’un nid de pavés, couverture de Philippe Tréfois, Cactus Inébranlable Editions, 78 p., 10 €.

L’ouvrage sur le site du CACTUS INÉBRANLABLE

Le site de Claude LUEZIOR




DIALOGUES AVEC GOYA

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